C'était notre pêche qui nous échappait
Ce bateau, le marin norvégien Henrik Naess vient de révéler qui il était. Non, ce n'était pas le Californian, mais un chasseur de phoques, le Samson, un tros-mâts de 185 tonnes, qui avait quitté Aalesund, le grand port de pêche aux harengs de Norvège, et qui, les cales bourrées de peaux de phoques, rentrait au pays. Naess révèle aussi pourquoi dans la nuit glacée il a fui.« J'ai observé tout d'un coup deux grandes étoiles dans le ciel du sud, relativement basses et je me suis étonné de leur grandeur. (C'étaient les lumières de mât du Titanic). J'ai demandé à la vigie de monter voir ce que c'était. II a pris ses jumelles, a observé et a crié : « Ce ne sont pas des étoiles, ce sont des lanternes et je vois des lumières, une multitude de lumières... Plus tard, nous avons observé deux fusées dans la même direction et après, plusieurs autres, également de couleur blanche. Et puis, soudainement, toutes les lumières se sont éteintes... Nous avons craint alors de nous trouver dans les eaux territoriales américaines et nous avons cru que les fusées, les lumières venaient d'unités navales U.S. et que les fusées voulaient dire que nous avions été vus. Si nous étions pris, c'était notre pêche qui nous échappait pour une simple bêtise. Nous n'avions rien à faire dans ces eaux-là. » C'est pourquoi foi donné l'ordre de mettre les machines en route et, à pleine vitesse, lumières éteintes, nous avons fait plein cap nord-est... Quand l'aurore s'est levée, il n'y avait aucun bateau en vue. » Naess décrit alors son voyage, la tempête que le Samson a encaissée et la nécessité de gagner l'Islande où ils arrivaient le 25 avril 1912. Là, Naesse rencontre le consul norvégien. Celui-ci, au cours de la conversation,lui parle de la disparition du Titanic. |
« Si nous avions eu la radio »
« A ce moment-la, écrit Naess, quelque chose s'est mis en route dans ma tête. J'ai demandé au consul s'il avait un journal relatant le naufrage. Il en avait. Je l'ai emporté à bord. Feuilletant mon livre de bord, vérifiant mes positions sur les cartes, j'ai conclu que tout était bien rapporté : la date, l'heure, la position... »Et il conclut : « C'était bien ça. Nous étions là au moment où le Titanic a coulé. Nous étions là avec notre beau bateau et nos huit chaloupes de chasse. Qu'aurions-nous pu faire si nous avions eu la radio !... » Ainsi, le bateau mystérieux, le bateau que la commission d'enquête britannique avait confondu avec le Californian, c'était le Samson, le « phoquier » norvégien, qui avait craint de se trouver dans les eaux territoriales américaines et que l'absence d'appareillage radio avait laissé dans l'ignorance du drame qui se produisait cette nuit d'avril 1912. |
Il n'y avait pas de quoi se vanter
Dans une autre lettre, Naess explique encore pourquoi le secret jamais n'a été trahi. « Les membres de l'équipage n'ont fait aucun serment. Il n'y a eu aucune menace. Simplement, nous nous sommes mis d'accord pour garder ceci pour nous. Il n'y avait pas de quoi se vanter, de quoi être fier. »Mais depuis 1912, Naess ne sut jamais (il n'y avait alors que peu de journaux, pas de radio et il n'était pas encore question de télévision) qu'un homme, Stanley Lord, avait été accusé à sa place. Alors qu'en Grande-Bretagne, Lord se battait pour prouver son innocence, en Norvège Naess se contentait de se débattre avec sa conscience. Mais l'un et l'autre vivaient avec la pensée des 1.502 victimes du Titanic. Sur un de ses carnets avant de mourir, Naess a encore écrit : « Cette affaire ne m'échappe jamais... Elle me poursuit, » Naess avait 83 ans. |
Une coïncidence extraordinaire
Pendant 50 ans, les deux capitaines vécurent en pensant aux derniers instants du Titanic. Il a fallu que la mort les emporte l'un et l'autre pour que la vérité éclate.Quant au phoquier Samson, sa carrière a été toute une histoire : la célébrité l'a accompagné. En 1928, le monde entier a parlé de lui, un explorateur américain, l'amiral Byrd, l'achetait et le baptisait City of New York. A son bord, il réussissait sa première mission dans l'Antarctique. Par une coïncidence extraordinaire, l'expédition Byrd à bord du Samson fut en partie financée par la richissime famille Guggenheim, dont l'un des fils disparut à bord du Titanic. Cette nuit-là, les canots de sauvetage ayant tous quitté le bord, le Titanic s'enfonçant lentement, sachant que tout espoir était vain, Ben Guggenheim avait regagné sa cabine. Abandonnant chandail, ceinture de sauvetage, il avait passé son smoking et, en compagnie de son valet en gilet rayé, il était remonté sur le pont où il avait attendu la mort, alors qu'au loin, mais tout près encore, le Samson tournait sur lui-même et fuyait le naufrage qu'il ne soupçonnait pas. |
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